Machines Vanités
Installation multimédia, sculpture en métal, écrans, minis lecteurs media, néons, vidéos.
Les craintes fument dans notre inconscient, notre mémoire collective, comme les ténèbres de l’histoire ou de l’avenir incertain. Elles sont enfouies et côtoient les rêveries utopiques, cauchemars révélateurs, récits oniriques, apparaissent tel un songe issu du passé ou bien comme un acteur du présent, invisible, qui dessine les contours de notre avenir flou. Par ce choix de mettre en scène le corps du spectateur dans un espace habité par des écrans décapotés et des tables métalliques inachevées, je tente de retranscrire ce geste vibrant et résistant et de faire ressurgir cette étrangeté, celle de nos sentiments face au monde cerclé par des média et machines. Nous avons forgé un environnement qui désormais nous transforme, comme un cercle infini. La « nudité » de mon dispositif mis en place met à nu ces arrières pensées à la fois inquiètes, fascinées et curieuses. « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. » Paul Klee. Les tables sont montées à la main avec des matériaux récupérés, des écrans trouvés dont la plupart sont défectueux. Je joue à employer les machines comme des vanités, tout aussi vieillissantes, évolutives et périssables que les hommes. Par ailleurs, nous trouvons du vocabulaire commun entre l’électronique et l’organisme : virus, système central, énergie, alimentation, mémoire, souris, entrailles, connexions, etc. L’esthétique de ma réalisation par son aspect « écorché » porte un regard sur la question de l’anatomie, de l’hybridation, soit de la cybernétique et du posthuman, mais également de la question du danger : l’idée étant de montrer ce qui nous est caché. Le métal est conducteur d’électricité, les câbles sont apparents, certains écrans sont défectueux. L’idée nous vient qu’une surtension nous lierait à cette scène aussi dangereuse que démunie. L’homme ne maîtrise pas entièrement l’usage du matériel mis en place par les expérimentations scientifiques et technologiques, ni les conséquences sur l’environnement, ni sur son physique et son psychique. L’ère numérique et électronique par-delà l’ère de l’industrialisation transforme notre environnement, nos corps, esprits, comportements et langages. Elle nous guide lentement, non-suspicieusement mais réellement, dans une voie d’humains augmentés qui se projettent grâce aux média dans une dimension de moins en moins mortelle et diminuée. Les appareils présents dans mon installation sont obsolètes, ils appartiennent à un souvenir et au passé, je les ai même trouvés dans des coins de rue. Les machines ne sont pas tant puissantes que l’on imagine, elles vieillissent, ne s’accouplent pas, n’enfantent pas. Elles ne donnent pas la vie. En plus de la question de la mémoire, de l’archive, de l’espérance de nos vies et des leurs, s’ajoute la question de la conservation des machines, de leur environnement qui fut aussi le nôtre. Dans un monde conditionné par la vitesse d’une surconsommation et de surproduction, employer un geste de recyclage et détournement des dispositifs contraignants ou dépassés, rappelle la nécessité du temps, celui que l’art met à infuser sur notre cerveau, celui que la pensée et l’apprentissage, voire même l’expérimentation de sa vie, met à imprégner notre mémoire et notre corps.